Fatigue visuelle et sécheresse oculaire

Les patients souffrant de dermatite atopique souffrent d’une sécheresse de la peau, mais quant est-il de la sécheresse oculaire ? Le Dr Adil EL MAFTOUHI, du Centre Ophtalmologique Rabelais à Lyon et du CHNO à Paris, nous explique ce processus.

Ce terme générique de « fatigue visuelle » est utilisé de plus en plus. Il s’est même généralisé avec l’usage des écrans désormais omniprésents.

Dans notre quotidien, on considère la fatigue visuelle comme un ensemble de symptômes apparaissant après un effort visuel prolongé. Elle se caractérise par une vision floue et instable, des picotements, les yeux rouges, sensation de grains de sable dans les yeux, des brulures oculaires, une sensibilité à la lumière ou un larmoiement excessif.

Ce faisceau de signes est en partie commun à ceux retrouvés dans les troubles de la surface oculaire, plus communément appelée la sécheresse oculaire, provenant d’une mauvaise qualité de larmes ou d’une diminution de leur quantité.

Dans la physiopathologie de la sècheresse oculaire, on distingue deux principales formes :

La dynamique palpébrale (le rythme de clignement des paupières) joue un rôle prépondérant dans le renouvellement du film lacrymal, alors que la qualité du clignement ainsi que sa fréquence vont également pondérer la qualité du film lacrymal.

Les Glandes de Meibomius sont des glandes sébacées situées dans les paupières et plus précisément au niveau du tarse. Elles sécrètent un corps gras appelé « Meibum » qui va apporter cette substance lipidique aux larmes et contribuer ainsi à en retarder l’évaporation.

Les clignements des paupières stimulent la sécrétion de ce dit «Meibum» par les glandes de Meibomius lorsque les paupières supérieure et inférieure, entrent en contact lors d’un clignement complet. Ce qui permet d’étaler l’huile protectrice sur l’œil. En cas de clignement incomplet, les paupières ne se touchent pas et la pression exercée sur les glandes est alors insuffisante pour permettre une sécrétion de cette huile, ce qui peut créer des bouchons par le solidification du « Meibum».

L’inflammation des paupières ou blépharite va avoir un effet sur la production de Meibum et entrainer un dysfonctionnement des glandes de Meibomius, avec comme conséquence directe, une réduction de la phase lipidiques dans les larmes induisant une instabilité du film lacrymal.

D’autres atteintes des paupières, au carrefour entre l’ophtalmologie, la dermatologie et l’allergologie, telles que la Rosacée (présentation page 21), la dermatite atopique, la dermatite séborrhéique ou l’eczéma des paupières, peuvent également accentuer le dysfonctionnement du « Meibum», par aggravation de l’inflammation palpébrale et qui va entraîner une sècheresse oculaire et un inconfort visuel.

Le travail prolongé sur écran, ainsi que toutes les tâches nécessitant une certaine attention prolongée, telles que la conduite ou la lecture, diminuent la fréquence de clignement des paupières, de 10 à 12 clignements par minute en moyenne à seulement 7 par minute.

Cette diminution de fréquence du clignement, réduit la quantité du film lacrymal et soumet alors celui-ci à un stress plus important entrainant un inconfort visuel variable selon la qualité du film lacrymal et de sa capacité d’hydratation.

Au final, la fatigue visuelle est directement liée à la sécheresse oculaire. Elle correspond à une atteinte de l’endurance visuelle face à une attention prolongée avec des symptômes d’inconfort (picotements, larmes…) toujours liées à la sécheresse oculaire.

Pour limiter ces désagréments, quelques précautions simples peuvent être prises telles que le port systématique de sa correction optique, des pauses fréquentes lors d’usages intensifs d’écran et des exercices de clignements forcés pour limiter la sécheresse oculaire.

Cependant, comme les symptômes de la sécheresse oculaire peuvent être retrouvés dans d’autres types d’atteintes de type allergiques ou infectieux, il convient de consulter un ophtalmologiste afin d’établir un diagnostic précis.

Zoom sur la rosacée, une affection cutanée et parfois oculaire à ne pas négliger.

Eclairage du Pr Jean-Louis Bourges, ophtalmologue à l’Hôpital Cochin à Paris.

Parmi les affections cutanées, la rosacée concerne une personne sur cinq dans la population générale, de manière souvent asymptomatique. Au cours du temps, 10% au moins des personnes concernées développent des symptômes, parfois très handicapants. Les mécanismes qui l’expliquent sont complexes. Ils impliquent des fluctuations inflammatoires, une mauvaise régulation immunitaire, un dysfonctionnement vasculaire et neurologique ainsi que d’une dégénérescence de la matrice cutanée.

La rosacée affecte le plus fréquemment l’aire faciale médiane. On observe dans les formes les moins avancées, un érythème facial qui s’intensifie de manière transitoire (flush) à l’occasion de stimulus variés, ainsi que la présence de papules et de pustules. Après plusieurs années d’évolution, apparait un lacis de stries rouges au niveau de la zone centrofaciale, du menton et du rebord des paupières. Il correspond à la dilatation permanente et à la localisation anormale de vaisseaux sous-cutanés appelés « télangiectasies » (Figure 1).

De même, l’épaisseur de la peau augmente avec un engorgement des petites glandes qui produisent le sébum au niveau de la peau, et du meibum au niveau des paupières. Le front, le nez, les joues, le menton et les paupières peuvent ainsi s’épaissir. On parle d’évolution phymateuse (Figure 2).

La forme oculaire peut être l’occasion de diagnostiquer la rosacée avant que les signes dermatologiques ne s’installent pour constituer alors une rosacée oculo-cutanée.

La rosacée oculaire est le plus souvent bénigne. Les patients se plaignent d’une sensation de grain de sable sous la paupière. Cela correspond à une altération du film lacrymal qui ne lubrifie plus correctement la surface oculaire. En effet, le meibum huileux des glandes palpébrales a pour fonction de couvrir la phase aqueuse des larmes pour l’étaler et en limiter l’évaporation. La rosacée oculaire change sa composition. Elle l’épaissit, l’esthérifie, l’oxyde et il devient toxique pour la surface oculaire en plus de ne pas assurer sa fonction première. Cela peut créer un engorgement aigu d’une glande de Meibomius. C’est le chalazion (Figure 3).

Une conjonctivite, puis une kératite se développe si ces changements persistent. Il faut alors astreindre le patient à une hygiène palpébrale quotidienne, minutieuse et bien codifiée. Cela permet de purger le meibum anormal et d’assainir la surface oculaire. Dans les formes anciennes ou les plus sévères, la cornée peut s’opacifier de la périphérie jusqu’au centre (Figure 4).

Dans cette dernière éventualité, l’acuité visuelle est durablement ou définitivement impactée. Il est donc capital d’éviter cela, d’autant que lorsque la rosacée est prise en charge précocement, cette ultime évolution n’est pas inéluctable. Pour cela, plusieurs traitements locaux et généraux sont utiles, en modulant la réaction inflammatoire et/ ou le système immunitaire. Dans l’idéal, les patients ayant une rosacée devraient être pris en charge conjointement par un spécialiste de la peau et un spécialiste de l’œil.