Le Dr Serge DOAN, du Service d’Ophtalmologie à l’Hôpital Bichat et Fondation A Rothschild à Paris nous explique que les conjonctivites allergiques constituent un motif très fréquent de consultation en ophtalmologie. Elles représentent en effet près de 20% des consultations spécialisées. En terme de prévalence, 7 à 10% de la population souffrirait de conjonctivite allergique, alors que le nombre de personnes concernées par les allergies est en augmentation croissante depuis plus de 20 ans. Particulièrement exposés, les patients présentant une dermatite atopique souffrent également de conjonctivite, dans 30% des cas.
Le mécanisme des conjonctivites allergiques au niveau oculaire est le même que celui observé dans les autres maladies allergiques extra-oculaires : il s’agit de la réaction allergique IgE médiée. A noter que certaines formes d’allergie oculaire chronique se caractérisent par une activation importante des polynucléaires éosinophiles qui sont responsables de lésions tissulaires parfois majeures. D’autres comportent des mécanismes induits par les immunoglobines E (IgE) et non IgE médiés, avec une composante immédiate et non immédiate. L’allergie de contact met quant à elle en jeu une allergie non IgE médiée, de type non immédiate (anciennement hypersensibilité retardée à médiation cellulaire de type IV).
Les allergies oculaires ont cette particularité de prendre plusieurs tableaux cliniques très distincts dans leur aspect clinique, leur évolution et leur pronostic :
C’est la forme la plus fréquente de conjonctivite allergique. Son association quasiment constante avec la rhinite allergique intermittente, lui vaut son appellation courante de rhinoconjonctivite saisonnière. Les allergènes les plus fréquents étant les pollens d’herbacées, le terme de rhume des foins paraît très approprié. Le mécanisme de la saisonnière correspond purement à une réaction allergie médiée par les IgE, évoqués plus haut.
Le diagnostic est clinique et souvent aisé.
Un terrain atopique (asthme, eczéma atopique, rhinite, urticaire) est fréquemment retrouvé. Les signes sont très bruyants et surviennent chaque année à la même période. Le calendrier pollinique permet de déterminer le pollen en cause en fonction de la région.
Les symptômes sont marqués par des démangeaisons oculaires, en particulier au niveau des coins des yeux. S’y associent un larmoiement, une rougeur oculaire, des sécrétions matinales et parfois une vision floue intermittente (à cause des sécrétions). La photophobie (éblouissement ou douleur déclenchée par la lumière) est rare et doit faire redouter une kératite. La rhinite associée est également bruyante avec rhinorrhée, obstruction nasale, éternuements. Un eczéma des paupières peut être présent, et est un facteur aggravant.
Les signes cliniques traduisent la vasodilatation et l’œdème (gonflement) secondaire à la libération d’histamine : paupières gonflées ; blanc de l’œil gonflé (œdème de la conjonctive, appelé aussi chémosis et prenant parfois un aspect caractéristique en pneu) ; la rougeur oculaire par hyperhémie conjonctivale bulbaire et palpébrale ; les sécrétions qui se collectent aux niveaux des canthi internes.
Le bilan allergologique basé sur les tests cutanés (Prick tests) à la recherche d’une sensibilisation aux pneumallergènes objectivera l’allergène en cause : pollen d’arbre, de graminée ou d’herbacée ou encore de moisissures estivales.
Cette forme persistante de conjonctivite est souvent plus difficile à diagnostiquer car elle peut être confondue avec d’autres conjonctivites chroniques non allergiques.
Pourtant, un bilan allergologique bien conduit permet de mettre en évidence le pneumallergène responsable, qui est le plus souvent un acarien de la poussière de maison.
Il s’agit en effet, là aussi, d’une manifestation pure de réactions allergiques médiées par les IgE.
Les symptômes sont chroniques, évoluant toute l’année, avec parfois une exacerbation en automne et au printemps (acariens) ou en été (alternaria). Ils comprennent souvent un prurit oculaire évocateur, mais également inconstant et pas toujours spécifique. Il existe souvent des sécrétions matinales et une rougeur oculaire, et parfois un larmoiement tenace. Des signes moins spécifiques, voire trompeurs, peuvent être rapportés par les patients, comme une sensation de sécheresse oculaire, de brûlures, de corps étranger. Des symptômes de rhinite allergique peuvent également être présents, mais de façon moins fréquente que dans la saisonnière.
Les signes cliniques sont tout aussi difficiles à discerner. La rougeur oculaire est fréquente, alors que l’œdème conjonctival ou palpébral, est beaucoup plus rare. Des sécrétions discrètes peuvent être présentes. L’examen ophtalmologique peut retrouver des signes typiques de conjonctivite allergique (conjonctivite papillaire – fig 1), mais également parfois un tableau trompeur de sécheresse oculaire par anomalie qualitative des larmes, ou encore une blépharite.
Le bilan allergique est très souvent nécessaire. Les prick tests objectiveront souvent la responsabilité d’un acarien, comme dermatophagoides pteronyssinus, d’une moisissure, de poils d’animaux, ou encore de blattes. Des allergènes professionnels comme la farine de boulanger peuvent être recherchés en fonction du contexte.
Il s’agit là aussi d’une forme mal décrite d’allergie oculaire. Le mécanisme est souvent mixte, avec une composante d’allergie, mais aussi des facteurs d’inflammations liés à l’évolution de l’atopie elle- même. On peut ainsi observer des poussées de conjonctivites en relation avec l’eczéma palpébral, favorisées par le stress, et des facteurs environnementaux non spécifiques (soleil, froid, vent, pollution, aliments, etc.).
Ces blépharoconjonctivites atopiques peuvent s’associer à une kératite, inflammation cornéenne potentiellement sévère : la kératoconjonctivite atopique (Cf. article sur les kératoconjonctivites). Les symptômes au cours des crises sont le prurit très important, la sensation de corps étranger, sécheresse et brûlure oculaire, le larmoiement, et les sécrétions. La photophobie doit faire redouter la présence d’une kératite. Les signes cliniques sont ceux d’une conjonctivite chronique importante, associée à un eczéma chronique des paupières. Une sécheresse oculaire s’associe souvent à la conjonctivite et l’eczéma.
Ce type de conjonctivite peut nécessiter l’emploi de collyres à la cortisone qui peuvent être source de complications comme la cataracte ou le glaucome.
L’éviction de l’allergène est fondamentale. La recherche de l’allergène en cause justifie la réalisation du bilan allergologique. En parallèle, la lubrification oculaire fréquente par du sérum physiologique et des larmes artificielles sans conservateur constitue le traitement de fond. Cela permet de rincer la surface oculaire, de traiter une sécheresse oculaire associée, et de diminuer le temps de contact des allergènes et médiateurs inflammatoires sur la conjonctive.
L’utilisation de collyres sans conservateurs est une priorité dans les pathologies allergiques oculaires, car ceux-ci entrainent sécheresse, toxicité et allergie. Le traitement pharmacologique utilise les antidégranulants mastocytaires en collyre, qui ont un effet plutôt préventif de l’allergie en bloquant la libération d’histamine par les mastocytes, et aussi les collyres antihistaminiques, pour traiter au moment de la crise. Les corticoïdes en collyres sont à réserver aux crises rebelles, car peuvent provoquer une infection, un glaucome et une cataracte. La désensibilisation est discutée si un allergène est clairement identifié
Très fréquentes, les conjonctivites oculaires peuvent se présenter sous plusieurs formes cliniques bien différentes, contrairement aux allergies observées sur d’autres organes. Une bonne connaissance des diverses formes, et surtout le dépistage des formes sévères avec complication cornéenne nécessitent un avis ophtalmologique spécialisé et permet de gérer au mieux ces pathologies.
Pour en savoir plus :
Doan, S., et al. (2011). L’allergie oculaire : du diagnostic au traitement. Paris, Medcom.